Trois ans après sa ratification historique, l’Accord de Paris semble avoir du plomb dans l’aile, sortie des Etats-Unis, sortie annoncée du Brésil, rapport alarmant du GIEC, l’humanité semble n’avoir jamais été si près du précipice. Dans ce contexte, cette Conférence des Parties qui doit être la conférence de l’opérationnalisation de l’Accord de Paris suscite attentes et craintes. Qu’attendre de la COP 24 qui se déroule à Katowice, au cœur du plus grand bassin minier polonais ? Quels sont les enjeux de cette COP 24 et ceux de sa présidence polonaise ?

Les pays vulnérables plus mobilisés que jamais

Mobilisés en amont de la COP 21, où ils avaient bataillé pour obtenir la mention du +1,5°C dans le texte final de l’accord, les pays les plus vulnérables au changement climatique, réunis sous la bannière du CVF[1] sont plus que jamais fébriles pendant cette COP. En effet, la question des 1,5° degrés est pour eux primordiale car au-delà de cette limite, le changement climatique aurait des conséquences immédiates sur la survie de leurs populations et sur leurs territoires menacés de disparition pure et simple. Or la fenêtre d’action pour atteindre cet objectif se réduit dramatiquement.

Dialogue de « Talanoa » et déclaration « Jumemmej » comme outils de persuasion des pays vulnérables

Pour maximiser la mobilisation, ces pays ont plaider pour la mise en place du « dialogue de Talanoa »[2], censé favoriser les interactions et amener les partis à dialoguer, construire une confiance mutuelle et partager les connaissances en toute compréhension et empathie est une réussite de leur action commune.

Le CVF s’est aussi réuni en novembre pour le premier sommet virtuel au cours duquel les ambitions et la feuille de route du CVF pour la COP 24 ont été définies. A l’issue de ce sommet, le CVF a publié la déclaration « Jumemmej »[3].

La question d’une « transition juste », priorité de la présidence polonaise

Pour la Pologne, champion de l’organisation des COP (3 à son actif) et du charbon, l’enjeu est de taille. Perçue comme l’épine dans le pied de l’Europe, menant le groupe des pays dépendants au charbon, la Pologne est souvent considérée comme un frein majeur aux ambitions climatiques européennes. Avec plus de 80% de son mix énergétique dépendant du charbon, la Pologne figure en effet parmi les « mauvais élèves de l’Europe » en terme d’émission de gaz à effet de serre. Pourtant, les polonais nous expliquent sans sourciller qu’il n’y a pas si longtemps, c’était 99%[4], donc, pas de quoi s’inquiéter, la transition énergétique polonaise est sur les rails !

Pourtant, si rapide soit-elle pour les polonais, la vitesse de cette transition est dérisoire devant l’urgence climatique et l’appel des membres du GIEC dans leur dernier rapport à un changement rapide, profond et sans précédents dans tous les aspects de la société.[5]

L’Union Européenne souhaite conserver son statut de modèle dans la lutte contre le changement climatique mais la position de certains de ses parlementaires, Jerzy Buzek[6] en tête pose question. En effet, lors de la conférence « COP24 – the Road to Katowice » organisée à Bruxelles le 7 novembre, Monsieur Buzek n’hésitait pas à affirmer que relever les ambitions en matière climatique risquait de faire passer l’Union Européenne de « front-runner » à « lonely-runner ». Les propos de Monsieur Buzek, très représentatifs de la position historique de la Pologne dans les négociations climatiques, sont en phase avec les ambitions affichées de transition juste pour les travailleurs de l’industrie polonaise, en particulier celle du charbon. La transition « juste » est au cœur des débats polonais depuis plusieurs années. La puissante influence des syndicats polonais, Solidarnosc en tête, n’est pas étrangère à cette mise en avant de la notion de justice sociale dans la transition du pays.

L’ambition de Michal Kurtyka : faire de la COP 24 une réussite à la hauteur des enjeux

Dans ce contexte, l’ambition affichée du Président de la COP24, Michal Kurtyka, Polytechnicien, francophone et francophile, est malgré tout, de tenir les objectifs de cette conférence : faire de la COP 24, la conférence de l’opérationnalisation de l’Accord de Paris. Au programme de cette COP, une mise en œuvre pragmatique et surtout l’assurance d’une transition « juste ». Dans son interview accordée à La Jaune et la Rouge, il apparaît très clairvoyant sur la nécessaire mise en œuvre d’un modèle inclusif pour tenir l’objectif 1,5°. Selon lui, le modèle de responsabilité différenciée entre pays développés portant la charge de leur responsabilité historique et les pays pauvres portant le poids de l’adaptation au changement climatique n’est pas tenable, il soutient une position de nécessaire conciliation, pour tous les pays, « d’aspiration au développement économique et protection du climat »[7]. Il apparaît pris entre l’appel à l’action urgente des experts et la légitime obsession polonaise pour une transition juste.

Malgré les propos rassurants du Président de la COP 24, justice sociale et justice climatique seraient-elles inconciliables ? La définition qu’en donne Monsieur Kurtyka et sa volonté d’engagement des états et des peuples paraît louable, mais la Pologne annonce une sortie du charbon totale d’ici trente ans, il sera alors trop tard pour le climat !

 

 

 

 

 

 

[1] Le CVF – Climate Vulnerable Forum, regroupe une quarantaine de pays d’Afrique, Asie, Caraïbes, Amérique Latine, Moyen-Orient et Pacifique, vulnérables face aux conséquences du changement climatique. https://thecvf.org/

[2] Le but de ces sessions étant la mise en place d’un story-telling porté par un message vrai, une révision des ambitions climatiques à la hausse au nom de la justice climatique.

[3] Concept des Iles Marshall faisant référence à la vigilance du voyageur au long cours qui doit rester en éveil à travers les océans et parfois au péril de sa vie et celle de sa famille pour assurer la sécurité de tous

[4] Chiffre tirés du Polish Electricity Association Special Report – Electricity market reform : a European tour

[5] IPCC Press release, 8 October 2018 – Summary for Policymakers of IPCC Special Report on Global Warming of 1.5ºC approved by governments, “Limiting global warming to 1.5ºC would require rapid, farreaching and unprecedented changes in all aspects of society.”

[6] Député européen et ancien Premier Ministre polonais

[7] Interview de Michal Kurtyka, La Jaune et le Rouge, N°739, novembre 2018