La crise sanitaire du COVID-19, menace ou opportunité pour le climat ?
Ca y est, c’est officiel, la COP 26 qui devait se tenir à Glasgow en novembre prochain est repoussée… à plus tard… Les propos de son président Alok Sharma laissent sans voix : « Le monde est confronté à un défi mondial sans précédent et les pays se concentrent à juste titre sur la lutte contre le Covid-19 », reléguant la crise climatique au second plan. Triste nouvelle pour l’humanité et le climat ? Bien que la crise du COVID-19 remette les valeurs d’entre-aide et de solidarité à l’honneur, rien ne nous laisse préjuger du monde d’après.
Pangolin
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7 travailleurs au marché de Wuhan
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pandémie mondiale
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confinement de la moitié de la population mondiale
L’effet papillon
Dès le 30 décembre 2019, le docteur Li Wenliang (décédé début février du COVID-19) avait attiré l’attention de ses collègues sur le cas de sept travailleurs du marché aux animaux de Wuhan, hospitalisés et semblant avoir contracté un virus proche du SRAS.
Petites causes, grandes conséquences – et après ? Début de l’effondrement et/ou chance à saisir pour changer fondamentalement notre façon d’être au monde ?
Crise climatique, déforestation et émergence des zoonoses
Aujourd’hui, sur les 1.400 agents pathogènes (virus, bactéries, parasites…) affectant l’humain, 60% sont d’origine animale. De même, 75% des maladies animales émergentes sont susceptibles de contaminer les humains. Source OIE
« Les humains influencent, à un certain niveau, l’émergence et/ou la transmission de pratiquement toutes les zoonoses », (maladies transmises aux humains par d’autres espèces animales) comme le souligne Barry J. McMahon dans son article Ecosystem change and zoonoses in the Anthropocene en 2018. Aujourd’hui, sur les 1.400 agents pathogènes (virus, bactéries, parasites…) affectant l’humain, 60% sont d’origine animale, affirme l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). De même, 75% des maladies animales émergentes sont susceptibles de contaminer les humains. Parmi les usual suspects, on retrouve la chauve-souris et le singe, excellents transmetteurs de ces zoonoses de par leur proximité génétique avec l’être humain.
Or, nous savons aussi que le changement climatique et la déforestation sont les causes principales du déplacement et de la disparition des espèces végétales et animales et, par conséquent, de nouveaux échanges humains-faune sauvage à l’origine des zoonoses telles que le COVID-19 ou Ebola.
Dans un scenario « business as usual » vers lequel nous nous acheminons actuellement avec des perspectives de réchauffement à plus de 3°C à l’échelle planétaire, l’émergence de nouveaux virus et le déplacement vers le Nord d’insectes et parasites porteurs de maladies infectieuses telles que le paludisme sera inévitable et fera partie de notre quotidien. Ce confinement sonne comme un aperçu de notre avenir si nous ne faisons rien.
Cette crise inédite représente-t-elle les prémices d’un effondrement prédit par les collapsologues, eux-mêmes surpris de la rapidité et de l’ampleur de la crise, ou représente-t-elle un avertissement d’une planète à bout de souffle nous enjoignant de changer en profondeur nos modes de vie ? Pour Yves Citton, « Ce qui se passe est le symptôme de toute une série d’affaiblissements ». Il ajoute : « Ce n’est pas la fin du monde, mais un avertissement sur quelque chose qui est déjà en train de se faire ».
« Ce qui se passe est le symptôme de toute une série d’affaiblissment…Ce n’est pas la fin du monde, mais un avertissment sur quelque chose qui est déjà en train de se faire. »
Yves Citton
Le risque d’un rebond des émissions lors de la sortie de crise
Cette chute des émissions, pouvant atteindre moins 88% quotidiennement en Europe dans le secteur des véhicules individuels, s’accompagne d’une baisse significative de la demande en pétrole – le baril de Brent était en dessous de 24 euros le 30 mars dernier – ce qui fragilise la puissante industrie pétrolière qui n’hésite pas demander la mise en œuvre d’aides et de plans de sauvegarde comme c’est le cas au Canada et les pays exportateurs de pétrole dont le Venezuela, déjà en proie à une crise économique qui laisse le pays exsangue.
Le risque est donc grand d’assister, dès la sortie de la crise sanitaire qui, heureusement, promet d’être progressive, à un rebond des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire. Ce sursaut économique sera probablement encouragé par les gouvernements dont les finances seront alors au plus bas à l’instar de la France dont le Président Macron a déclaré dans son adresse du 12 mars que « La santé n’a pas de prix » et que la priorité serait de « sauver des vies quoi qu’il en coûte. » Il en coûtera très probablement des coupes sombres dans les budgets alloués aux politiques environnementales et paradoxalement, le sursis apporté par la pandémie à la planète ne sera que de courte durée et ses effets risquent fort d’être contre-productifs. En donnant aux gouvernants et aux citoyens confinés l’illusion d’une sobriété retrouvée, le retour à la normale risque donc d’être brutal.
« le climat n’a pas besoin d’une année blanche mais de mesures sur la durée. » François Gemenne, chercheur-membre du GIEC
Or, comme l’a souligné lors d’une interview accordée à LCI François Gemenne, chercheur-membre du GIEC « le climat n’a pas besoin d’une année blanche mais de mesures sur la durée. » En effet, l’inertie climatique implique une chute drastique mais sur la longueur de nos émissions.
Pourtant, les signes du changement climatiques sont déjà tangibles avec :
– des températures record enregistrées cet été en arctique (plus de 20°C à moins de 900 km du Pôle Nord) et pendant l’été Austral en Antarctique (18°C enregistrés en février 2020).
– Un record de blanchissement de la Grande Barrière de Corail enregistré en mars cette année
– La fonte massive du Permafrost qui libère des quantités massives de méthane – gaz à effet de serre vingt-cinq fois plus puissant que le CO2 – libère des virus anciens tel que la Maladie du Charbon (ou Anthrax) et fragilise les infrastructures, notamment en Sibérie
– Une acidification du Pacifique qui atteint déjà la formation des carapaces des crabes de Dungeness
La liste est longue et pourtant, nous ne semblons toujours pas prendre conscience de l’ampleur de la crise climatique.
Pourtant comme le montre cette modélisation du Shift Project, nos émissions devraient décroître dès maintenant et sur le long terme pour maintenir une trajectoire à +2°C, conformément aux Accords de Paris.
,Une remise en cause immédiate des politiques environnementales aux Etats-Unis et en Europe
Les quatre dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées et 2020 promet de faire partie de la liste et pourtant, la première réaction politique face à la crise du COVID -19 est de remettre à plus tard ou de diminuer l’ambition et la mise en œuvre de politiques publiques climatiques.
Aux Etats-Unis, l’administration Trump s’est empressée, dès le 26 mars, d’annoncer un gel des contraintes environnementales pour les entreprises américaines. Dans un communiqué, l’Environmental Protection Agency a annoncé : « ne pas s’attendre à engager des sanctions pour le non-respect de règles de surveillance, de tests d’intégrité, d’échantillonnage, d’analyse en laboratoire, de formation et d’obligation de déclaration ou de certification lorsque l’EPA admet que le Covid-19 en était la cause. » Mesure d’exception ? Gageons qu’elle deviendra la norme à la sortie de la crise afin de favoriser la reprise économique.
Au sein de l’Union Européenne, la Pologne et la Tchéquie, lourdement dépendants du charbon, ont profité de la crise pour demander la réduction des ambitions du Green Deal européen. Heureusement, cette demande ne sera pas suivie d’effets. En revanche, la Commission Européenne a annoncé des retards de plusieurs semaines dans la mise en œuvre de ce plan stratégique européen, notamment sur des initiatives telles « de la ferme à la fourchette » ou celle consacrée à la biodiversité.
Retour à la normale et course à la croissance ou amorce vers la sobriété ?
Cependant, l’espoir réside dans la prise de conscience que la crise climatique est bel et bien la plus grande menace qui pèse sur l’humanité et que cette pandémie n’est qu’une répétition, grandeur nature, des conséquences récurrentes du changement climatique qui menacent les populations à court terme (2050 c’est demain) : nouvelles pandémies liées à l’apparition ou réapparitions de maladies, déplacements massifs de populations face à la montée des eaux, inondations récurrentes, événements climatiques extrêmes…
Espérons que tous les êtres humains confinés en ce moment à travers le monde mettront à profit ce temps inédit de pause pour appréhender et inventer le monde de demain qui se devra d’être plus sobre, plus égalitaire et solidaire. Une chose semble évidente, la réflexion est en cours et nous sortirons durablement changés de cette expérience. Pour Jean-Marc Jancovici, « L’effondrement peut être lent, c’est un processus par marche d’escalier, et là on vient de se prendre une petite marche, derrière laquelle on ne reviendra pas au niveau précédent ».
« L’effondrement peut être lent, c’est un processus par marche d’escalier, et là on vient de se prendre une petite marche, derrière laquelle on ne reviendra pas au niveau précédent ». Jean-Marc Jancovici
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