Chère Greta,
Comme toi, cette année, j’ai assisté à ma première COP. Comme toi, j’ai assisté, impuissante à une mascarade d’un cynisme sans bornes. Tu étais la star de cette COP, une sorte de mascotte, chacun y allait de son selfie, de sa photo officielle. Nous nous sommes croisées, je t’ai reconnue, tu étais seule, l’air un peu perdu au milieu de la foule. J’ai eu, je crois, la décence de ne pas t’approcher, touchée par un profond malaise. De toute façon que t’aurais-je dit à part te présenter de plates excuses pour la vacuité des déclarations prononcées, pour la propagande grossière de la Pologne qui présidait cette Conférence des Parties, pour l’absence des chefs d’états, la reconnaissance timide du dernier rapport du GIEC ?
Ils savent pourtant que si historique soient-il, les engagements pris à Paris ne seront pas suffisants et nous mèneront au-delà d’une hausse de 3°C. Ils savent que cela implique un monde de chaos, de famines, de guerres et de migrations massives, eux qui n’arrivent déjà pas à gérer la « crise » migratoire actuelle. Pourtant, ces parties s’étaient mises d’accord il y a trois ans et s’étaient déclarées « Conscientes que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière »[1]. Ban Ki-Moon alors Secrétaire Général de l’ONU avait prévenu : l’ambition actuelle devait être un socle, pas le plafond pour les futurs efforts. Il fallait rehausser les ambitions avant 2020. Aujourd’hui, seules les Iles Fidji et Marshall ont revu leurs engagements sur le climat (NDC, Nationally-Determined Contribution) à la hausse.
N’ont-ils pas entendu les appels à l’action radicale et immédiate des scientifiques du monde entier ? N’ont pas lu le résumé du Rapport 1.5°C du GIEC rédigé à leur attention ?
Ils savent et pourtant cette COP qui aurait dû être le théâtre d’annonces historiques semble n’avoir servi à rien, le faible accord de mise en œuvre qui en découle ne permettra pas de t’assurer un avenir paisible, pas de quoi se réjouir.
Tu étais là pourtant et tu n’étais pas seule, de nombreuses délégations d’enfants, d’étudiants étaient présents, unanimement salués par ces parties qui n’arrivent toujours pas à relever leurs objectifs individuels scellés à l’Accord de Paris. Ils ont tous salué votre courage, votre engagement comme si l’avenir du monde devait reposer sur vos épaules d’enfants. Comment peuvent-ils se décharger ainsi sur vous, bafouant aussi grossièrement vos droits d’aller à l’école, de jouer, d’être secourus et protégés[2] car il s’agit bien de ça aujourd’hui, préserver votre droit à l’insouciance. Greta, à 15 ans, tu portes le poids de la survie de l’humanité sur tes épaules et c’est intolérable. Tu es à peine plus vieille que mes propres enfants pour qui j’aspire à un monde vivable. A quoi pensais-je à 15 ans ? Certainement pas à sauver l’humanité courant à sa perte.
Vous faire porter ce poids est insupportable et c’est aussi faire fi de la génération de tes parents dont je fais partie, qui regarde atterrée ce spectacle. Il faut pourtant rester optimistes et mobilisés car il est trop tard pour baisser les bras et que nous sommes la dernière génération à pouvoir agir. Il reste si peu de temps, 12 ans, c’est moins que ton âge. Pourtant l’espoir subsiste. Pendant cette COP, j’ai aussi vu des gens qui se battent quotidiennement pour préserver ton futur, en manifestant dans les rues de Katowice et du monde entier, j’ai entendu des brésiliens assurer qu’ils tiendront bon face à Bolsonaro et aussi Al Gore nous dire que l’être humain porte en lui la volonté politique d’engager de profonds changements et que la volonté politique est elle-même, une ressource renouvelable[3].
Greta, j’aimerais pouvoir te dire ne t’inquiète pas, retourne au lycée, retrouve ton insouciance, le climat, on s’en occupe pour toi !
[1] Préambule de l’Accord de Paris
[2] Convention Internationale de Droits de l’Enfant
[3] Intervention d’Al Gore le 12 décembre 2018 au Greenpeace Climate Hub, Katowice, Pologne